“Majola” : épouse modèle dans la tourmente du nazisme
A l’occasion d’une interview fascinante, celle d’Irene Kalder, la femme d’Amon Göth, considéré comme le « boucher » nazi du camp de concentration de Plaszow, interviewée par un journaliste américain et filmée par un cameraman d’origine juive, Caroline Darnay reconstitue le fil d’une vie allemande prise dans la tornade de la barbarie nazie. C’est elle qui incarne Majola, cette « petite reine » amoureuse d’un tyran, alors que Marc Francesco Duret et Duncan Talhouët campent les intervieweurs. Un dialogue triangulaire d’une puissance et d’une finesse remarquable.
La liste de Schindler
En 1993, La Liste de Schindler de Steven Spielberg révélait, à travers l’histoire d’Oskar Schindler, brillant homme d’affaires allemand qui parvint à sauver un grand nombres de Juifs employés dans son usine de Cracovie, puis déportés au camp de travail de Paszow en Pologne, que Schindler avait usé de toutes ses forces, de toutes ses relations pour traiter le mieux possible ceux et celles qui étaient considérés par les nazis comme du bétail animal. C’est ainsi qu’il rencontra le célèbre SS Amon Göth, qui transforma le camp de concentration en camp de torture. Déjà très peu humaines, gangrénées par le froid, la maladie et la famine, les conditions de vie des prisonniers n’excédaient pas deux semaines avec la violence de Göth, qui fut livré aux autorités polonaises puis pendu dès la libération des camps.
Une séance d’interview à Munich
Dans les années 1980, à Munich, on cherche à interroger les victimes, les bourreaux, les témoins de cette triste histoire pour réaliser un documentaire sur Oskar Schindler. Car si le boucher SS Amon Göth a été liquidé, alors que nombre de ses camarades nazis ont cherché refuge en Amérique du Sud, sa veuve, Irene, est bien vivante. Elle accepte difficilement l’invitation à participer à ce documentaire, et fait une entrée très remarquée dans le studio, vêtue d’une longue robe corolle à l’élégance vaporeuse. Son sourire est dévastateur, elle explique tout, justifie son attachement à Göth par une admiration sans bornes pour ce héros de l’ordre et des choses bien faites, amoureux de musique classique et de fusils de chasse, qui s’amusait comme un gamin à tirer sur de pauvres prisonniers juifs. Elle vivait à ses côtés, dans une villa protégée avec domestiques et animaux, repas copieux et conviviaux. Mais elle protégeait, donnait des soins et à manger aux malheureux, en secret et parvint à sauver la vie de quelques prisonniers. « Elle est notre fée », confiait-on au camp, et ce qu’on racontait à son sujet était plus que positif.
L’ambivalence de Majola
Fée ou manipulatrice, diabolique ou bénéfique, sincère ou menteuse ? Qui est cette femme encore très belle, venue se confier à ces deux journalistes désabusés et un peu en colère de ne pas pouvoir la saisir dans ce qu’ils possèdent comme certitudes ? Caroline Darnay compose une pièce en forme d’enquête psychologique et policière, qui fouille et plonge avec une délicatesse clinique dans les entrailles du bien et du mal, pour questionner cet entre-deux. Son incarnation de Majola est superbe de finesse et de mystère, quand Marc Francesco Duret incarne un formidable journaliste baroudeur, sûr de lui et revenu de tout, et Duncan Talhouët un jeune homme cameraman habité par les fantômes familiaux, brillant et venu aussi lui réclamer des comptes. Dans ce trio à huis clos, chacun devient d’ailleurs progressivement l’interviewé puis l’intervieweur, pour mieux renverser les argumentations et mettre en perspective la réalité. Après avoir réalisé, face à un dossier contenant des photos et de lettres, les exactions commises par son mari, la belle Irene Kalder s’est donné la mort, quarante années après. Le voile s’est soudain déchiré, celui qui fait jaillir la vérité que l’on ne veut pas voir, car le mensonge et le déni aident tellement à vivre. Quel beau spectacle !
Hélène Kuttner
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